Au bagne : le spectacle finit, le spectacle commence

Mercredi 8 novembre, 22h – Camp de la Transportation, St Laurent du Maroni.

Pierre Valente, régisseur, technicien, Géo Trouvetou formidable de la compagnie Procédé Zèbre finit de remettre les ampoules dans leur boîte, et demande au reste de l’équipe qui déjà a fermé les câbles et autres matériels dans d’énormes valises de voyage de tout emmener dans la Case 11 du Camp, sécurisée, gardée et où ampoules, câbles et valises passeront la nuit.

Dans la Case 11, des cinquantaines d’hommes ont passé des nuits innombrables jusqu’à la fermeture des camps. A l’époque aussi la Case 11 était sécurisée et gardée. Aujourd’hui, ce sont les bureaux et les réserves de la direction du Patrimoine de la municipalité de St Laurent du Maroni. On voit encore quelques traces sur les murs intérieurs, des anneaux où les forçats étaient ferrés.

Quelques heures plutôt, à quelques mètres de là, Arnaud Redon, courageux comédien incarnant tant Albert Londres qu’Eugène Dieudonné, a dit le dégoût et l’horreur que Londres a ressenti en découvrant ces cages. « Je n’avais jamais vu des hommes en cage par cinquantaines. » Derrière lui, vingt-six élèves de 1e et de terminale, tous présentant une spécialité théâtre au Baccalauréat criaient leurs mots pour Albert Londres, criaient leur découverte du Bagne et leur imaginaire bagnard : « Monsieur Albert, je suis horrifié… A l’infirmerie, on n’entend que mes gémissements… Sortez-moi d’ici ! »

Les murs du Bagne guyanais sont un théâtre idéal pour écouter les mots de Londres, les mots de leur propre ombre. Etienne Russias, debout, immobile dans la lumière, porte un casque colonial. Les murs n’avaient plus connu cette ombre depuis près de soixante-dix ans. La foule tremble. La Tenciaire pourrait revenir, son ombre plane.

Pour l’instant, le spectacle est fini. On sourit, on se remercie.

 

Jeudi 9 novembre, 10h – Lycée Bertène Juminer, St Laurent du Maroni.

L’équipe de Procédé Zèbre au complet arrive dans la salle de théâtre du Lycée. Ils scotchent des sacs poubelles sur les portes vitrées, et cherchent à faire le noir. Les rideaux bleus, épais et ondulés, sont un défi. Pierre Valente Géo Trouvetou et Fabrice Dubusset réfléchissent. Derrière eux, Christophe Nurit, délicieux musicien, installe des enceintes aux deux extrémités de la salle. Il ouvre les valises récupérées au Camp de la transportation, en sort les câbles qu’il déroule. Il en met partout. On lui dit que le son prend déjà toute la place, que ça suffit les techniciens du son qui n’en font qu’à leur tête et que, quand même, il faudrait laisser la scène au comédien. On rit.

Des guirlandes d’acier sont tendues sous le plafond de la place. Une salle de théâtre devient toute la Guyane, elle devient tous les possibles et tous les paysages qu’Albert Londres et Arnaud Redon peignent ensemble : le kilomètre 10 de la route coloniale numéro 0, les cellules d’Espel, dit Chacal, de Paul Roussenq, les rues désagrégeantes de Cayenne.

Les élèves étudient, sont en cours de maths, de lettres, de théâtre peut-être, ou de sciences naturelles. Bientôt ils rentreront dans leur salle transformée. Ce n’est plus une salle, c’est un monde. Le spectacle peut commencer.