Aux Îles du Salut, les larmes, les larmes…
Samedi 11 et Dimanche 12 novembre 2023, Procédé Zèbre a présenté Au bagne devant les cellules du quartier disciplinaire des Îles du Salut, sur l’Île Royale.
Alors qu’ils marchent l’un à côté de l’autre entre les quartiers disciplinaires et les résidences des gardiens pour se mettre en place, Arnaud et Etienne, vêtus en Albert Londres et en porte-clé, se disent qu’il y a sans doute une photo à faire. Ça fait bien longtemps qu’on ne les a pas vus arpenter les allées, les chapeaux à bords larges, les casques coloniaux que l’un et l’autre portent. Là encore, comme à St Laurent du Maroni, les murs accueillent avec émotion et précision les ombres projetées.
Un groupe d’une vingtaine d’étudiants de l’Université de Guyane, accompagnés par Florence Faberon, occupe la salle des hamacs du camps des forçats et participe avec les professionnels du Zèbre de la pièce. Sous les manguiers immenses qui donnent aux capucins et aux agoutis les fruits que les bagnards n’avaient pas le droit de ramasser, ceux-ci participent dans un premier temps à un atelier d’écriture pour dire ce que sont, pour eux, jeunes de toutes les filières et d’âge allant de 18 à 24 ans, les nouveaux Bagne.
« Être enfermé. Être dans un endroit restreint. Ne plus avoir la liberté. Ne plus circuler. Être nulle part et quelque part, sans voix, sans issue, ne pouvoir rien faire. Très éloigné des autres, seul, coupé du monde. Sans porte de sortie, être emprisonné. Être dans le noir. »
– extrait des résultats de l’atelier d’écriture.
Ils participent ensuite à un atelier de théâtre et préparent leur implication dans le spectacle avec Fabrice Dubusset. Au moment où tous entrent en scène, comédiens professionnels et amateurs, ensemble, les dernières lumières solaires parviennent au public installé, une trentaine de chanceux qui dormiront le soir sur les lieux du bagne. Ils sont de Kourou, de Cayenne, d’ailleurs, de loin, de près. La lumière tombe comme l’espoir de partir, les lieux revivent comme ils ne le font que rarement.
Le spectacle commence. Arnaud Redon déclame les mots d’Albert Londres à l’endroit exact où Hespel, dit Chacal, est venu chercher plusieurs hommes et les a emmenés à la guillotine. On entend sa voix. On le voit même, on voit toute l’année qu’il passe à attendre son exécution. Arnaud déclame aussi les mots de Dieudonné dans les cellules qui l’ont reçu, après ses premières tentatives d’évasion. On a rarement senti plus juste et plus nécessaire l’aventure qu’il peint jusqu’au Brésil.
Le lendemain, à l’heure de monter sur la navette, on sent bien l’évidence, les Îles du Salut sont absolument magnifiques mais on ne voudrait pas y rester plus, parce que le bateau s’en va, et que tout y fermé, que des grilles empêchent d’accéder au confort, alors on ne voudrait pas rester une nuit de plus, on veut partir. Les bagnards, Albert Londres et Arnaud Redon quand il les cite ont raison. Il faut partir.
Le théâtre, une fois de plus, redonne sens aux pierres construites et empêche l’oubli. Il fait revivre ce que d’autres ont vécu. Il permet à la vie de traverser le temps.
« Cher Albert L, nous voici enfermés dans cet endroit. Privés de toute liberté, pas loin de la mer, on entend les vagues mais on ne peut pas se baigner. La mélodie des oiseaux, le vent qui nous caresse la peau nous rappelle notre existence malgré tout.
Le monde de l’extérieur évolue progressivement mais on ne cesse d’être enfoncé dans la terreur, la misère et le noir.
Vous, le porte-parole des désespérés, on veut que notre silence atroce envahisse les oreilles de la société. Plaidez notre cause ! »
« Nous sommes dans un endroit qui ne veut rien dire. Nous sommes dans un endroit sans loi, sans règle. Nous sommes dans un espace où règne le déjà là, l’état de fait. Voilà, voilà, voilà. C’est ça la règle qui n’est pas. L’état de fait.
Si c’est fait, c’est que c’est possible mais peut-être que ça ne le sera plus. Ça, on ne le sait pas. Peut-être, pas sûr. En plus, on ne sait pas d’où ça vient ni comment. La lumière s’éteint et c’est douloureux, et on ne sait pas où ça fait mal. C’est tout.
Nous sommes ici, c’est tout, à ne comprendre que ce qui est, et pas ce qui sera. Nous sommes là mais nous ne voyons pas. Un cercle d’êtres élevés cerne notre regard et qui s’éteint.
Avez-vous déjà connu le silence, monsieur ? Avez-vous déjà connu le noir, monsieur ?
Si c’est là, c’est que c’est possible. Pourtant, ça ne le sera peut-être plus. Comprenez-vous monsieur ? Car, si c’est le cas, expliquez-nous. »
Procédé Zèbre remercie chaleureusement Aurélie Schneider, Victor, Clémence, Sarah, Christophe, Sarafina et tous les bénévoles d’Agamis, ainsi que Florence Faberon et tous les étudiants de l’Université de Guyane qui se sont impliqués dans le projet.
Enfin, nous avons une pensée pour Jean-Michel Delpech, pour le blog qui tient. Merci !