Les cygnes noirs, les meubles pour la France et Dino sur son banc…

Dimanche 26 et lundi 27 juin, Procédé Zèbre a travaillé avec le groupe de jeunes de Zavidovici à l’occasion d’un passage en Bosnie. Ensemble, ils ont exploré les lieux de la ville identifiés par les jeunes, ont commencé une campagne d’interviews et ont mis sur scène, au travers un dispositif scénique basique, les premiers résultats de leur collecte.

Ensemble, nous avons parcouru les différents mémoriaux de la ville et nous sommes posés toute une série de questions. On trouve à Zavidovici un mémorial présentant un cygne noir, symbole d’une unité spéciale pendant la guerre des Balkans. Pourquoi avoir choisi le cygne noir ? Y a-t-il un rapport avec le ballet ? N’est-ce pas le Lac des cygnes qui redonne la mémoire du corps à une ancienne ballerine atteinte d’Alzheimer dans une vidéo devenue virale sur Internet ? Est-ce le pouvoir du cygne noir que d’intervenir toujours dans la beauté et le su ?

Nous avons vu un monument de commémoration de la seconde guerre mondial précisant que 1074 personnes ont été tuées à Zavidovici parmi lesquelles des femmes et des enfants. Pourquoi en faire mention mais ne pas préciser leurs noms ? Et comment sait-on ce chiffre, précisément ?

Nous avons vu le monument de commémoration des victimes de la guerre la plus récente, dans l’ombre duquel s’abritait un chien errant. Aussi, avons-nous réfléchi. Les chiens des rues, sympathiques et doux à Zavidovici, quand sont-ils arrivés ? Qu’ont-ils vu ? Pourraient-ils nous raconter la première cérémonie après l’édification du mémorial ? Combien étaient-ils les bosniens rassemblés ? Ont-ils chassé la douceur des chiens ? La mémoire ne serait-elle que propreté, sans place pour l’amour et les sourires canins, ouverts sur des langues pendantes ?

Nous avons rencontré Dino, né à dix mètres de l’arbre sous lequel il était assis. Il a grandi là, sous l’arbre. Il a joué dans le gazon autour du tronc, et sous les branches. Il a eu ses enfants dans le même appartement, à dix mètres de l’arbre. Il a fait la guerre, en laissant ses enfants sous les grenades chaque jour. Il est revenu là, a jeté son sac de soldat à terre pour les embrasser. Il s’est assis sur son banc, sous l’arbre, pour attendre ses voisins. Ils parlent là. Il nous a parlé. Il a dit que la plus grande célébration c’était le jour de la fin des hostilités. Il nous a dit qu’il se souvenait avoir embrassé ses enfants, et que c’était beau. Il a dit que c’était aux jeunes générations d’arrêter la haine, et que c’était possible. Il a dit qu’il ne voulait pas parler des mauvaises choses mais que pour les belles, il avait du temps. Il a dit que oui, nous pouvions le prendre en photo sous son arbre mais pas tout seul, parce que la mémoire ça n’existe que quand on la partage

 

Nous avons parlé des fondations d’un hôtel qui a fermé il y a seulement cinq ou six, ou sept ans. Déjà, on a l’impression que c’est très vieux, mais ça ne l’est pas. Les gens ont dansé avec ferveur et ivresse dans les fondations, qui étaient une boite de nuit réputée. On nous parle d’une femme qui était costumière pour les soirées de cette boite de nuit. Elle préparait des tenues de policiers et de policières pour les danseurs. Pendant la guerre, c’est devenu un hôpital. Les stars de la musique ne descendaient plus à l’hôtel. On y soignait les blessés. Après la guerre, on a continué à s’y marier. Quand on parle de l’hôtel, il y a beaucoup de sourires. Personne n’est content de le voir abandonné.

On a visité enfin une entreprise de meubles en bois, Krivaja. On y fabriquait des meubles de qualité, tout en bois. Il n’y avait pas de contreplaqué. On dit que les maisons en sont pleines de ces meubles de qualité. Dans les bureaux, on trouve des photos de l’exploitation des chênes de Bosnie datant de 1903, les hommes avaient des tenues traditionnelles. On travaillait dur. Aujourd’hui, des halls immenses, presque abandonnés, entourent les espaces gigantesques laissés vides. On nous a offert un rouleau à pâtisserie en bois 100% bosnien. Il fonctionne très bien nous a-t-on dit. L’entreprise a fermé il y a huit ans. Elle a compté plus de 21.000 travailleurs. Aujourd’hui, ils sont encore une quarantaine pour essayer de vendre le bois qui reste, les planches, les meubles par centaines, le bois de Bosnie, découpé, tordu et monté, qui se cherche une dernière fierté. Ça ne reprendra pas. Les jeunes espèrent qu’un jour on construira un centre commercial et un gymnase. Les anciens parlent de l’orgueil de travailler.

Tout ça, on a essayé de le mettre sur une scène. Nous avons proposé aux jeunes de marcher sur scène comme ils marcheraient dans une ville pour aller acheter du pain, pour prendre un train ou pour raconter une histoire à l’élu.e de leur cœur. De temps en temps, traversant la scène, ils s’arrêtent pour dire au monde une phrase entendue dans la collecte que nous avons faite. C’était très humble.

Si je commence à parler de la guerre, je vais parler pendant deux jours.

Peut-être que c’était la guerre, mais nous, on essayait d’être heureux.

Ma petite sœur est née pendant la guerre. Ce n’est pas tout à fait une mauvaise nouvelle.

Ça ne deviendra peut-être rien. C’était le tout début d’un travail qui les amènera à Vichy en mai 2023. Les jeunes ont dit qu’ils avaient appris beaucoup. Ça valait donc la peine.