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Croisement de projets : Des jeunesses en miroir

Du 16 au 20 janvier, les équipes de Procédé Zèbre et de Lelastiko, deux compagnies professionnelles partenaires du projet WiM Laboratories Iuvenis II ont collaboré pendant une semaine à Brescia en Italie avec un groupe de jeunes bressan, la compagnie bosnienne Studio Teatar et des personnes âgées avec lesquelles Lelastiko a l’habitude de collaborer. Ces dernières sont parties prenantes du projet LA BALENA DELLA GROENLANDIA HA 211 ANNI de Lelastiko.

Ce travail s’est fait dans le cadre de l’autre projet que porte Procédé Zèbre, Miroir d’eau – Water Mirror, projet de création et de recherche artistique en lien avec des publics multiples, projet de recherche de nouvelles pédagogies de la transmission, de recherche de forme et d’esthétiques transverses, horizontales, et égalitaires.

Ce travail s’inscrit dans l’évident prolongement de l’action de Procédé Zèbre depuis trente années et en lien avec le projet Erasmus+ que nous défendons.

Ainsi, les jeunes impliqués dans ce projet participeront peut-être des Bus des mémoires européens qui seront au programme de Procédé Zèbre en 2023 et 2024 et, surtout, certains (tous ? Peut-être !) de ces jeunes participeront au grand rendez-vous des jeunesses que nous construisons à Izieu, en avril 2024 pour la commémoration du 80 e anniversaire de la Rafle d’Izieu.

Ils recherchent des miroirs d’eau. Nous construisons des laboratoires pour cela. A Brescia, en janvier, il pleut. Même sans ça, Water is Memory.

 

 

 

 

 

 

 

« Des réfugiés aux réfugiés… »

Du 23 au 26 novembre 2022, Procédé Zèbre était à Sigmaringen pour poursuivre le travail engagé en juin
2022. Une douzaine de lycéens ont pu partager des moments de travail autour du théâtre et du chœur
moderne, avec la participation de trois de leurs camarades du lycée Saint Pierre de Cusset. Les trois
intenses journées ont été nourries par la visite de Abdullah Kamadi (réfugié Syrien à Sigmaringen) qui,
pendant plus d’une heure, a raconté la réalité de son départ de Syrie… des mots forts qui ont touché les
jeunes…
Depuis 2012, la guerre en Syrie touche la population et la situation devient de jours en jours pire
qu’avant : Les soldats d’Hadad dans la rue nous menacent… Un jour j’étais sur une moto, les soldats nous
interpellent et nous disent : On va compter jusqu’à trois ! On va te faire exploser, et… Finalement, ce ne
sont que des pétards pour nous faire peur. Il s’agit bien de semer la peur… Il faut attendre de 4h du matin
à 19H pour avoir un peu de farine. Alors, je ne peux plus rester à Damas. Je dois retourner dans mon
village. Là-bas, on a appris la nouvelle que tous les hommes devaient faire partie de l’armée d’Assad. Les
soldats peuvent tirer pour leur plaisir sans raison, c’est pas pour exagérer… c’est comme ça ! Etat
islamique… Si tu n’es pas dans le moule, si ta barbe n’est pas assez longue, ils peuvent te tirer dessus… au
rond-point du village il y a dix têtes coupées pour montrer leur puissance.. Ma fille avait 3ans, on a
décidé de partir…

Il a poursuivi en racontant son périple de 6 mois pour aller de Turquie en Grèce, de Grèce en Serbie, de
Serbie en Slovénie pour arriver enfin en Allemagne. Six mois à braver les passeurs plus ou moins
honnêtes, à voyager dans des conditions inhumaines… six mois pour passer « de l’enfer au paradis »,
comme il dit !

Nous passions du sort des réfugiés aujourd’hui à Sigmaringen, au gouvernement du Maréchal Pétain, parti
de force de Vichy pour se réfugier en 1944, à l’initiative du IIIème Reich, dans le château de Sigmaringen.
La comparaison s’arrête là mais il est très intéressant pour les jeunes de comprendre le travail de mémoire
d’un territoire et le mouvement des populations dans le travail de recherche et d’investigation pour
l’écriture d’une forme
théâtrale en devenir. Nous cherchons des reflets et quelquefois trouvons un miroir
de plus !

Jeunes allemands et français ont donc commencé leur coopération artistique sous la direction artistique de
Fabrice Dubusset. Un documentaire de Kossi Themanou va être réalisé autour des mémoires des Villes
de Sigmaringen et de Vichy avec la participation des jeunes.
Les trois jours se sont terminées par une petite présentation du travail devant parents et élèves du Lycée
Hoenzollern.

Merci à Stefanie Bisinger, Annemarie Katelsky, Christine Dezert pour l’encadrement des jeunes.

Erasmus+ aux Brayauds, Des pizzas et des bourrées pour commencer…

Du 14 au 17 novembre, les membres de Procédé Zèbre et deux équipes mixtes composées de professeurs et d’élèves des Lycées St Pierre de Cusset (Allier) et de Perchtoldsdorf (Autriche) sont réunis aux Brayauds, à St Bonnet-près-Riom, dans le Puy-de-Dôme.
Au sein du Centre départemental des musiques et danses traditionnelles, Dix-huit jeunes filles (on n’a pas fait exprès mais il n’y a pas de garçon… à croire qu’ils n’aiment pas la musique traditionnelle…) découvrent et pratiquent avec leurs enseignants des danses locales en commençant par… la bourrée auvergnate.
Premier jour et premières bourrées encadrées par deux formateurs des Brayauds, Zsofia Varkonyi et Gilles Michaelidis. Après trois heures au son de la cabrette, cornemuse typique du sud de l’Auvergne dans laquelle on ne souffle pas mais qu’on gonfle à l’aide d’un soufflet, et de l’accordéon diatonique, Carole Zacharie, professeure d’EPS du lycée St Pierre, propose aux élèves de se saisir du pas de bourrée pour s’essayer à une forme plus contemporaine de danse.
La journée se termine par des exercices théâtraux proposés par Fabrice Dubusset. Les élèves se découvrent, travaillent ensemble et mettent en scène des petites scénettes demandant un français basique : « Oui. Non. Vraiment ? Oui. »
Choc de ruralité enfin pour les jeunes autrichiennes qui ont fait le tour de St Bonnet près Riom dans la nuit d’un dimanche soir campagnard avant de trouver le seul écrin de lumière de la nuit : une pizzeria. L’auberge des Brayauds a résonné du bruit des couteaux sur le carton et du bruit des croûtes qu’on déchire.
Vivement la suite !

Lancement de la deuxième année de travail – Mais ils sont Oulx ?

Du 7 au 11 novembre 2022, une semaine de rencontres, de découvertes et d’ateliers de pratiques artistiques était organisée dans le Piémont.
Fabrice Dubusset (Mise en scène, direction d’acteurs), Isabelle Paez (Chorégraphie) et Fernando Suarez (Percussionniste) ont accompagné deux jeunes filles, Maëlys et Theras du Lycée St Pierre de Cusset et du Point Information Jeunesse de Vichy. Ensemble, ils sont allés à la rencontre de deux groupes de jeunes de l’I.I.S des Ambrois d’Oulx, avec la complicité de la professeure de français et responsable du
projet pour le compte de l’institution scolaire piémontaise, Silvia Massara.
Du lundi au jeudi, ils ont travaillé au sein du lycée. Les matins étaient consacrés à la découverte du travail d’acteur, du rythme, et de la danse. Le groupe du matin a pu ainsi se confronter au travail de chœur en constituant « l’orchestre national de chaises d’Oulx ».
Une performance a permis le jeudi en fin de matinée d’accueillir un groupe d’élèves devant lequel ils ont formé un orchestre particulier en s’appuyant sur les éléments rythmiques de la classe : Papier, stylo , voix et chaises. Ils ont interprété un morceau de classe internationale : « Ecco ! »
Les après-midi travaillait le groupe de jeunes italiens qui sera présent au festival Water is Memory en mai 2023. Nous avons avec lui commencé un laboratoire de travail autour de la thématique du voyage, de l’exil. Nous avons constitué un radeau, une arche, un bateau à la dérive. Les élèves ont ensemble vogué au gré des vents de leur imagination. Ils ont aperçu un aigle de Guinée, un loup d’Italie, une girafe de Somalie, etc… Les élèves sont devenus une arche d’espoir, en route pour braver les tempêtes. Tout à tout rythme du voyage, sons du plastique polluant les océans , protection… Ils ont ainsi préparé une performance et l’ont donnée le vendredi 11 novembre à Torino dans le cadre de la journée « Neve e Memoria » organisée par Alma teatro, compagnie de théâtre également partenaire du projet.
Tout au long de l’après-midi, des intervenantes, des intervenants et des associations travaillant autour d’enjeux mémoriels se sont succédés pour présenter leur travail.

Nous retiendrons les mots de Marcella Filippa, storica, direttrice della Fondazione Vera Nocentini . « Le théâtre c’est du rêve avec des jambes », une formule que n’aurait sans doute pas renié Rafael Nadal, croisé dans les rues de Turin.

Texte écrit par le groupe pour l’apprentissage du français ! 

Nous sommes sur l’arche !

Il y a des choses inattendues

Beaucoup de gens, patients,

avec émotion et courage,

Ils regardent un grand paysage.

Découvrir la mer, la plage,

Un livre à la main, un livre à la main.

Sur ce monde on n’est que de passage,

Amour, souvenir, vie, liberté..

Photographies d’un temps élargi.

Partage des rencontres, valises du courage,

Culture en bagages, exploration d’une nouvelle routine.

Nouvelle idée, expérience profonde

Se sentir seule, stress, angoisse, changement.

Touristes, beaucoup de gens, rencontres

amusements, musée, connaissances..

Et des jeunes, amitiés, musique en tête.

Voyage en train.

Un livre à la main, un livre à la main .

NOUS SOMMES LA MARCHE !

Vous êtes sur l’ARCHE ! 

Dictatorii en Romanului + // Articlilor ToujoursPlus 3

Du 11 au 13 juillet, le projet Dictatorii prend ses quartiers à Cluj-Napoca pour trois jours d’expérimentations collectives avec les deux groupes déjà mobilisés de lycéens d’Aiud et de Hida, Razvan et Matei, et quelques étudiants volontaires de la faculté d’agronomie de l’Université vétérinaire et agricole de Cluj.

Ensemble, et avec les membres de la compagnie Procédé Zèbre, ils expérimentent des formes de recherche entre l’écriture, le débat, la philosophie, la danse et le théâtre et préparent tous ensemble deux performances.

Ainsi, ils écrivent :

 

Je pense à une représentation théâtrale à Hida.

Je pense à une petite fille qui regarde la pièce.

Elle a un turban rose avec Mickey dessus.

Elle a une copine de son âge qui rit beaucoup.

Elle, est plus discrète.

Elle balance ses jambes sur un banc trop haut.

Elle regarde les acteurs qui bougent.

Elle les trouve beau, ils sont vêtus de blanc.

Elle aimerait bien être un ange, comme eux.

Elle se dit que le théâtre, ce sont des anges qui parlent du passé sur la scène éclairée de tous les jours.

……………………………………………………………………..

Rien ne peut remplacer le moment vécu.

Nous étions étrangers, au cœur du monde qui s’écroule.

……………………………………………………………………..

J’ai pensé à quelque chose qui n’a pas eu lieu.

J’ai la mémoire des événements que j’imagine.

……………………………………………………………………..

Mémoire, étoile dans les yeux.

Tout a disparu, il n’y a plus de vie.

……………………………………………………………………..

Au début de mon souvenir, je venais.

Je me souviens. Je n’étais pas à l’aise.

C’est Aujourd’hui de la joie. Nous avons cassé les règles

Avec un jean slim.

……………………………………………………………………..

J’étais sur scène. Je jouais.

Je me souviens, j’avais un rôle. C’était un bal, avec un rôle.

……………………………………………………………………..

Avant tout, j’ai pensé à un endroit de mon enfance.

Il y a un noisetier, une laisse avec un chien noir au bout.

Il m’aime de la plus pure des façons.

Mon petit chien, la joie de mon petit chien

C’est pour moi une version du paradis.

 

Une première performance est jouée le mardi 12 juillet avec le soutien de l’Institut Français de Cluj, dans le cadre d’une soirée du Club francophone des affaires de Cluj.

Une seconde, dense et qui complète cette première étape du projet Dictatorii, est portée au Musée d’arts de la ville le mercredi 13 juillet. Cette pièce est mise en scène par Fabrice Dubusset avec la collaboration d’Arnaldo Ragni. Elle sera portée par l’ensemble des participants du projets et par les musiciens Zébrés : Aurélie Raidron, Christophe Nurit, Cyril Meysson et Fabrice Dubusset. Technique Lumière et régie vidéo : Pierre Valente.

 

Dictatorii, projet de création s’inscrivant dans la continuité de huit années de travail de Procédé Zèbre en Roumanie et dans le projet WiM Laboratories Iuvenis II, poursuivra son avancée en 2023, dans le cadre de la Journée internationale de commémoration des victimes de la Seconde guerre mondiale en Europe de l’Est, puis à Vichy pendant le festival Water is Memory, édition 2023.

Enfin, Procédé Zèbre reprendra les routes Transylvaniennes pour poursuivre l’exploration dramaturgique en juillet 2023.

 

Nous remercions chaleureusement tous les professeurs, les encadrants, toutes celles et tous ceux qui permettent la réalisation de ce projet en Roumanie, au premier rang desquels Cristina Pocol, Mihaela Mihai, Gabriela Galea, Stanca Horja, Ioana Daniela Ardelean, Mateiu Calin, Mr le Maire de Hida, …

Erasmus Hidarilor // Article 2

Après une première représentation à Aiud, le projet Dictatorii débarque à Hida, dans le parc de la salle de réception de la commune.

Dans la salle de réception, des chaises en bois clair entourent des tables rectangulaires. A l’arrière, le long du mur Est, des statuettes miniatures de Blanche-Neige et les sept nains patientent pour être à l’ombre l’après-midi. Les statuettes sont un peu trop grandes pour qu’on puisse parler de Blanche-Neige et des sept nains de jardin. Plus loin, à une cinquantaine de mètre, une scène couverte nous attendait.

Pendant deux jours, les élèves du lycée technique Liviu Rebreanu de Hida et ceux du Colegiul National Titu Maiorescu d’Aiud travaillent. Ils sont encore les anges méprisants et aperçus en mai 2022 à la Station à Vichy, dans le cadre de Water is Memory. Ils sont encore des incarnations rock de Ceausescu et de Poutine. Ils sont encore l’envie de liberté et de joie d’une jeunesse qui s’affirme.

Dimanche 10 juillet, à 21h, ils vont jouer devant le public de la plus petite ville impliquée dans le projet WiM Laboratories Iuvenis II, public de la campagne transylvanienne plus habitué à voir passer des calèches dans ses rues qu’à entendre sur les versants des douces collines voisines, résonner l’écho des répétitions d’un spectacle.

Dans la salle de mariage, lorsque les musiciens Zébrés sont arrivés pour la première répétition, on y célébrait justement une union. On nous a offert des petits fours, de petits gâteaux au chocolat. Certains étaient délicieux, mais un autre avait le goût des biscuits Eugenia. Ceux-là, le moins bon donc, était le descendant des seuls biscuits qu’on pouvait trouver jusque dans les années 80 en Roumanie. Le paquet des biscuits Eugenia, annonçait alors fièrement la présence de chocolat que les habitants ne trouvaient que trop peu. Il fallait, dit-on, lécher les biscuits pour trouver une vague saveur, peut-être saupoudrée sur les côtés dans une recette depuis largement remaniée.

Avant de repartir, Procédé Zèbre rencontre, grâce à la professeure Daniela Ardelean et au soutien de la mairie de Hida, les représentants de la communauté juive de la ville, largement décimée pendant la Seconde guerre mondiale et qui a vu son lieu de culte détruit juste ensuite. L’envie de partir à la recherche des mémoires du cimetière juif et des histoires qu’il a à raconter est très forte. Rendez-vous est donné dès demain pour la suite du travail à Cluj, et plus encore en 2023 pour découvrir les jeunes transylvaniens à Vichy et pour la suite de Dicatorii en Roumanie.

Dictatorii Erasmusului + // Matei Razvan

Du 2 au 13 juillet, Procédé Zèbre est massivement présente en Roumanie pour trois créations avec les trois groupes de jeunes de Cluj, Aiud et Hida.

Après cinq premières journées, tous s’installent et travaillent dans le lycée hongrois d’Aiud pour une première création Dictatorii, le vendredi 8 juillet. Au sein de notre large équipe de lycéens et d’étudiants de l’Université de médecine vétérinaire et d’agronomie de Cluj, il est toutefois deux acteurs singuliers.

Matei Galea, le premier, a douze ans. Il n’est pas très grand et il se met sur la pointe des pieds pour que, sur le balcon de la salle de spectacle où la représentation va avoir lieu, la lumière le touche.

Il comprend bien le français, n’a pas besoin qu’on lui explique plusieurs fois les consignes et, entre tous ceux qui font au moins une tête de plus que lui, n’a pas peur de danser, de lancer des regards, d’explorer les coins et les angles morts des espaces à parcourir.

Puis, il est un étudiant qui n’étudie pas dans la capitale non-officielle de la région de Transylvanie, drôle d’expression relevée sur Wikipédia pour parler de Cluj-Napoca. Răzvan Rusu a tenu à être avec le groupe. C’est un ancien lycéen du Colegiul Național Titu Maiorescu d’Aiud. Il a fait partie de la première aventure des Laboratoires des Jeunesses européennes et appartenait au groupe avec lequel travaillaient Fabrice Dubusset et Arnaldo Ragni en 2019.

Aujourd’hui inscrit en école d’infirmiers à l’Université de Médecine George Emil Palade de Târgu Mureş, il a parcouru les cent vingt kilomètres qui le sépare de notre travail pour porter un texte en français, langue qu’il maitrise relativement bien. Lui-même dit que « c’est grâce au théâtre ». Il donne des conseils aux plus jeunes, appelle à la concentration, félicite le petit Matei, traduit, passe d’une langue à l’autre en permanence, fait attention à sa posture et arpente avec nous les nombreuses fripes de la ville pour trouver des costumes pour les musiciens. Jamais le dernier pour porter du matériel, prêter une paire de bras, enseigner une expression en roumain à notre équipe, il donne sans compter et conte la vie de sa ville à nos esprits curieux. Lui-même dit que « c’est grâce au théâtre ».

La présence de Matei et de Răzvan est une marque indiscutable. WiM Laboratories Iuvenis II ne fait pas sens parce qu’il engage des lycéens, mais parce que des individus divers, venus d’horizons différents, confrontent leur langue et leur vision, participent d’un élan collectif, portent des voix fortes, deviennent des anges en Roumanie. Cet élan, il peut offrir de nouvelles langues, il peut offrir une attitude, une envie et une ouverture à l’autre. Răzvan l’a dit, « c’est grâce au théâtre ».

  • Dictatorii, Colegiul Naţional Bethlen Gabor, vendredi 8 juillet 2022.

Mise en scène de Fabrice Dubusset avec la collaboration d’Arnaldo Ragni. Avec les Musiciens Zébrés, Christophe Nurit, Aurélie Raidron, Cyril Meysson et Fabrice Dubusset, les élèves du Colegiul National Titu Maiorescu d’Aiud, du Colegiul National Liviu Rebreanu de Hida, Matei Galea et Răzvan Rusu.

Sigmaringen !

Du 21 au 25 juin, l’équipe Procédé Zèbre et quatre lycéens de Saint Pierre (Cusset) étaient à Sigmaringen en Allemagne.

D’un gouvernement en exil aux réfugiés de Sigmaringen , la mémoire de ce territoire se met en mouvement avec la jeunesse et nous invite à nous pencher aujourd’hui sur le passé. Des témoignages à venir, un atelier « Danz théâtre »  en route pour une prochaine performance dans le cadre du festival WIM 2023, une jeunesse multi langues et multi couleurs  : Regenboggen … l’arc en ciel !

La ville de Sigmaringen se découvre sous nos yeux, L’équipée française des jeunes du Lycée Saint Pierre (Cusset, France) à la rencontre des lycéens du Gymnasium Hohenzollern (Sigmaringen, Allemagne). Le théâtre danse les mots et regarde à travers les persiennes du lycée… Mouvement du Danube qui nous plonge dans la réflexion d’un territoire, des voitures qui ont des drôles de roues, des casernes qui se transforment en camp de réfugiés, des gâteaux qui se dressent face à la forêt noire, forêt de légendes à ré écrire au présent : Der Freischütz !

Dans ce conte populaire germanique, tous les ingrédients du fantastique sont là : forêt mystérieuse, concours de chasseurs, jeune fille innocente, solitude, magie noire, faute, pardon … bref, nous voilà à rentrer dans le fleuve d’une écriture d’aujourd’hui qui conjugue le territoire des rencontres.

Un grand merci à Kossi Themanou de nous avoir raconté son histoire d’exil du Togo, il cite Albert Londres… Alors, pas de hasard si nos chemins se recroisent… Nous remercions aussi Anne-Marie et Stefi pour leur accueil et leur accompagnement avec les lycéens de Sigmaringen. Un grand merci à Carole et aux jeunes du Lycée Saint Pierre pour cette aventure qui démarre !

Les cygnes noirs, les meubles pour la France et Dino sur son banc…

Dimanche 26 et lundi 27 juin, Procédé Zèbre a travaillé avec le groupe de jeunes de Zavidovici à l’occasion d’un passage en Bosnie. Ensemble, ils ont exploré les lieux de la ville identifiés par les jeunes, ont commencé une campagne d’interviews et ont mis sur scène, au travers un dispositif scénique basique, les premiers résultats de leur collecte.

Ensemble, nous avons parcouru les différents mémoriaux de la ville et nous sommes posés toute une série de questions. On trouve à Zavidovici un mémorial présentant un cygne noir, symbole d’une unité spéciale pendant la guerre des Balkans. Pourquoi avoir choisi le cygne noir ? Y a-t-il un rapport avec le ballet ? N’est-ce pas le Lac des cygnes qui redonne la mémoire du corps à une ancienne ballerine atteinte d’Alzheimer dans une vidéo devenue virale sur Internet ? Est-ce le pouvoir du cygne noir que d’intervenir toujours dans la beauté et le su ?

Nous avons vu un monument de commémoration de la seconde guerre mondial précisant que 1074 personnes ont été tuées à Zavidovici parmi lesquelles des femmes et des enfants. Pourquoi en faire mention mais ne pas préciser leurs noms ? Et comment sait-on ce chiffre, précisément ?

Nous avons vu le monument de commémoration des victimes de la guerre la plus récente, dans l’ombre duquel s’abritait un chien errant. Aussi, avons-nous réfléchi. Les chiens des rues, sympathiques et doux à Zavidovici, quand sont-ils arrivés ? Qu’ont-ils vu ? Pourraient-ils nous raconter la première cérémonie après l’édification du mémorial ? Combien étaient-ils les bosniens rassemblés ? Ont-ils chassé la douceur des chiens ? La mémoire ne serait-elle que propreté, sans place pour l’amour et les sourires canins, ouverts sur des langues pendantes ?

Nous avons rencontré Dino, né à dix mètres de l’arbre sous lequel il était assis. Il a grandi là, sous l’arbre. Il a joué dans le gazon autour du tronc, et sous les branches. Il a eu ses enfants dans le même appartement, à dix mètres de l’arbre. Il a fait la guerre, en laissant ses enfants sous les grenades chaque jour. Il est revenu là, a jeté son sac de soldat à terre pour les embrasser. Il s’est assis sur son banc, sous l’arbre, pour attendre ses voisins. Ils parlent là. Il nous a parlé. Il a dit que la plus grande célébration c’était le jour de la fin des hostilités. Il nous a dit qu’il se souvenait avoir embrassé ses enfants, et que c’était beau. Il a dit que c’était aux jeunes générations d’arrêter la haine, et que c’était possible. Il a dit qu’il ne voulait pas parler des mauvaises choses mais que pour les belles, il avait du temps. Il a dit que oui, nous pouvions le prendre en photo sous son arbre mais pas tout seul, parce que la mémoire ça n’existe que quand on la partage

 

Nous avons parlé des fondations d’un hôtel qui a fermé il y a seulement cinq ou six, ou sept ans. Déjà, on a l’impression que c’est très vieux, mais ça ne l’est pas. Les gens ont dansé avec ferveur et ivresse dans les fondations, qui étaient une boite de nuit réputée. On nous parle d’une femme qui était costumière pour les soirées de cette boite de nuit. Elle préparait des tenues de policiers et de policières pour les danseurs. Pendant la guerre, c’est devenu un hôpital. Les stars de la musique ne descendaient plus à l’hôtel. On y soignait les blessés. Après la guerre, on a continué à s’y marier. Quand on parle de l’hôtel, il y a beaucoup de sourires. Personne n’est content de le voir abandonné.

On a visité enfin une entreprise de meubles en bois, Krivaja. On y fabriquait des meubles de qualité, tout en bois. Il n’y avait pas de contreplaqué. On dit que les maisons en sont pleines de ces meubles de qualité. Dans les bureaux, on trouve des photos de l’exploitation des chênes de Bosnie datant de 1903, les hommes avaient des tenues traditionnelles. On travaillait dur. Aujourd’hui, des halls immenses, presque abandonnés, entourent les espaces gigantesques laissés vides. On nous a offert un rouleau à pâtisserie en bois 100% bosnien. Il fonctionne très bien nous a-t-on dit. L’entreprise a fermé il y a huit ans. Elle a compté plus de 21.000 travailleurs. Aujourd’hui, ils sont encore une quarantaine pour essayer de vendre le bois qui reste, les planches, les meubles par centaines, le bois de Bosnie, découpé, tordu et monté, qui se cherche une dernière fierté. Ça ne reprendra pas. Les jeunes espèrent qu’un jour on construira un centre commercial et un gymnase. Les anciens parlent de l’orgueil de travailler.

Tout ça, on a essayé de le mettre sur une scène. Nous avons proposé aux jeunes de marcher sur scène comme ils marcheraient dans une ville pour aller acheter du pain, pour prendre un train ou pour raconter une histoire à l’élu.e de leur cœur. De temps en temps, traversant la scène, ils s’arrêtent pour dire au monde une phrase entendue dans la collecte que nous avons faite. C’était très humble.

Si je commence à parler de la guerre, je vais parler pendant deux jours.

Peut-être que c’était la guerre, mais nous, on essayait d’être heureux.

Ma petite sœur est née pendant la guerre. Ce n’est pas tout à fait une mauvaise nouvelle.

Ça ne deviendra peut-être rien. C’était le tout début d’un travail qui les amènera à Vichy en mai 2023. Les jeunes ont dit qu’ils avaient appris beaucoup. Ça valait donc la peine.

Un samedi au Procédé

Déjà, alors qu’on arrive sur le parking, l’atmosphère est surprenante. Il y a un homme qui danse, entouré de chanteuses. Il a les cheveux longs, regroupés en un chignon qui hésite entre le blond et le roux. Sa barbe est étanche à la transpiration qui habite, sous le soleil énorme du samedi 21 mai, son t-shirt et ses bras gonflés. Les chants sont en italien, un accordéoniste accompagne la chorale et le danseur improvisé.

Plus loin, assis sagement en cercle et profitant de l’ombre restante dans les angles des édifices, anciens abattoirs depuis devenue havre de théâtre et des services techniques de la municipalité, d’autres jeunes répètent les textes qu’ils porteront deux jours plus tard sur la scène de Centre culturel Municipal. On entend comme des vagues qui me reviennent sans cesse, des souvenirs qui ne veulent pas mourir, ou comme une chemise qu’un homme m’a donnée, ou encore et qui me rappellent qu’on est coupable…

Le danseur n’entend sans doute pas les phrases répétées par le groupe sage, couvertes par les chants et l’instrument lancé, mais nous oui. C’est un spectacle entêtant.

A l’intérieur des hangars qui abritent la compagnie, un troisième groupe se balade entre les armoires de costumes possibles, à la recherche d’une esthétique qui leur permettrait le lendemain de porter une mémoire. Les filles se disputent les robes de couleur vive et les chapeaux à fleur, les garçons les costumes beiges ou de couleurs pales. Ils essaient tous ensemble les vêtements trouvés et Arnaldo, dont les joies et les exclamations ont chaque fois la fulgurance des fruits rouges, applaudit.

Plus loin encore, une professeure de français autrichienne est en train d’écrire sur des valises les noms que les trois groupes, celui qui chante, celui qui répète et celui qui s’habille, porteront. Elle écrit Primo Levi, Oana Orlea, Shireen Abu Akleh ou encore Jules Durand.

On entend dans la salle du fond deux artistes italiennes qui échangent sitôt dans leur langue, sitôt dans une langue des balkans avec deux porteurs de projets bosniens de l’Agence pour la Démocratie locale de Zavidovici. Eux non plus n’entendent pas des vagues qui me reviennent sans cesse, dites par les jeunes autrichiennes, mais ils ont la voix caillouteuse. Les deux artistes italiennes hésitent sans doute à leur demander ce qu’ils faisaient pendant les années 90, et si les cailloux dans leurs voix sont de ce moment-là.

Sous le soleil de Vichy, samedi après-midi, et autour des anciens abattoirs, une cinquantaine de marcheurs portent des noms écrits à la craie sur des valises. Ils portent Giulio Regeni, Gisèle Halimi et Liliane Canu. Ils s’entraînent à marcher lentement, à s’arrêter ensemble. A se tourner ensemble. A regarder le ciel, ensemble. Ensemble, ils se disent que ce serait plus facile avec des lunettes de soleil, ils se demandent si les oiseaux qui s’amusent entre les frênes ont chaud aussi. On entend une voix roumaine qui s’entraîne à prononcer Jules Durand, et des voix qui, en allemand et en italien se demandent qui son Gisèle Halimi et Oana Orlea.

On entend enfin, au bout de la file des marcheurs à l’entraînement une voix éraillée, celle de Maria, doyenne du groupe et membre de la compagnie Ligne de Flottaison, composée de patients et de soignants de l’hôpital psychiatrique Ste Marie. Elle dit à Anne, infirmière, qu’elle portera le lendemain Morales Castillo, que c’était son père, et qu’il a fui la guerre d’Espace. Anne, infirmière, lui répond qu’elle, elle portera la mémoire de Wladislav, son oncle, et qu’il était résistant. Les voix de toutes les couleurs se taisent.

Tout à l’avant de la déambulation, Marina, Etienne et Arnaldo essaient de trouver le bon rythme pour que Stéphane, lui aussi membre de la Ligne de flottaison et qui porte la mémoire du Nageur d’Auschwitz, Alfred Nakache, puisse la tenir facilement.

Le samedi en fin de journée, sous le soleil encore trop chaud, on se donne rendez-vous pour le lendemain.

Dimanche matin, dans le hangar de Procédé Zèbre, on entend des voix une nouvelle fois de toutes les couleurs et qui cette fois crient et disent : Où est ma valise ? Hai visto la mia giacca? Denkst du, dass die Hose passt? Wir hatten gestern keine Zeit zum Anprobieren. Ar trebui să port o pălărie? Nu ? Ești sigur? Déjà dans le camion ? Ah bin parfait !!

On se donne des adresses de boulangerie pour manger sur le pouce et puis on part, à vélo, en minibus, en voiture, à pied, en courant ou en marchant. On part dans cinq langues encore, avec beaucoup de sourires, et un de gravité. On se redemande une nouvelle fois comment s’appelle la fille qui va porter Primo Levi, parce qu’on a parlé avec elle un peu plus tôt mais qu’il y a trop de prénoms à retenir… On se redemande encore comment on dit Bonjour, ça va ? en roumain, et en allemand.  On se demande si Alles ist gut ? avec l’accent italien, et alors on rit. On se demande une dernière fois qui c’était ce Jules Durand, et s’il y a un lien avec Antonio Gramsci, ou avec Primo Levi.

Dimanche après-midi, devant les portes fermées de Procédé Zèbre, la poussière retombe sur le sol séché par le soleil de mai, implacable mais distrait. Il dirige ses rayons un peu plus loin, en centre-ville où cinquante marcheurs font s’éteindre les bruits de la ville quand ils passent, doucement, dignes et superbes dans leurs tenues bariolées, portant à la main des mots bien souvent ignorés.

Les Passeurs de Mémoires ont répété devant le havre théâtral puis ont marché dans les rues de Vichy, inscrivant au présent sur les pavés centenaires, la mémoire de ceux qui ne se sont pas tus, de ceux qui ont marché à contre-courant, de ceux qui ont levé la tête sous la noirceur du ciel et du temps.

Dimanche toujours, plus tard, un camion est venu décharger des valises, des manteaux, des chapeaux, quelques affaires encore. Deux gars étaient fatigués, l’un a dit à l’autre Je suis épuisé. C’est lourd ces valises.

« J’avais à peine 17 ans en 1943 lorsque j’ai rejoint un groupe de résistants qui faisaient passer des personnes recherchées par les Allemands, que ce soient des juifs, chrétiens, ou sans religion. A cette époque ce qui comptait c’était notre idéal. » – Wladislav Picuira, Résistant.